Août 1997 Volume 1 numéro 4
Pour mieux comprendre le phénomène de la résistance aux antibiotiques au Canada

Dans un article sur les résidus d'antibiotiques, paru dans un précédent numéro d'Inforum, nous avons vu que les antibiotiques sont administrés aux animaux de ferme pour trois raisons :

1. traiter les animaux malades;

2. prévenir et enrayer la propagation des maladies;

3. améliorer le bien-être général des animaux.

Bien que l'utilisation des antibiotiques soit sévèrement réglementée au Canada, la question du lien qui pourrait exister entre l'administration d'additifs alimentaires antibiotiques aux animaux et la morbidité/mortalité chez les humains est maintenant à l'ordre du jour.

Dans un article publié récemment dans Ontario Dairy Farmer, Dr John Lynch, directeur de l'unité de coordination de la recherche de la division des services de laboratoire de l'Université de Guelph, considère que les inquiétudes que soulèvent aujourd'hui la résistance aux antibiotiques proviennent en partie des "difficultés maintenant rencontrées en médecine humaine à traiter un certain groupe d'infections contagieuses et opportunistes que les traitements standard parvenaient régulièrement à maîtriser auparavant."

Dr Lynch ajoute que "les preuves formelles selon lesquelles c'est bien l'utilisation de médicaments à usage agricole, et non pas les abus commis dans le système de santé humaine lui-même, qui est à l'origine de ce problème sont rarement appuyées par des arguments autres que de vagues associations et spéculations."

"Des remarques désobligeantes ont été reproduites dans les médias cette année", poursuit Dr Lynch. "Elles ont créé, au sein du public, une image scandaleusement disproportionnée et tendancieuse de la responsabilité des antibiotiques agricoles face aux récents problèmes de traitement d'un certain nombre de maladies infectieuses chez les humains."

Le débat sur cette question continue à faire rage, mais peu de preuves concrètes permettent d'accuser les pratiques agricoles d'être responsables de l'apparition d'agents pathogènes résistants aux antibiotiques chez l'être humain.

En fait, de nombreux antibiotiques administrés aux les animaux de ferme n'ont aucune application chez l'humain (les ionophores utilisés pour favoriser la croissance et prévenir les maladies, par exemple); il est donc fort peu probable que l'usage agricole des antibiotiques soit associé à la naissance de bactéries antibiorésistantes en médecine humaine.

En outre, tout antibiotique offert au Canada et destiné à la fois à l'usage humain et animal ne peut être administré à un animal que sur ordonnance vétérinaire. Le Canada a été un des premiers pays à appliquer cette mesure de sécurité, démontrant ainsi l'intérêt et l'importance accordés par tous les intervenants du milieu à la question de la résistance aux antibiotiques.

Montréal, un premier pas dans la bonne direction

Dans le but de clarifier la situation, d'identifier les problèmes et de leur trouver des solutions, une conférence de consensus a été organisée à Montréal à la fin du mois de mai dernier. La conférence avait été mise sur pied par le Laboratoire de lutte contre la maladie et la Société canadienne de maladies infectieuses, afin d'aborder la question de l'augmentation des cas d'antibiorésistance et d'élaborer une stratégie pour faire face à ce phénomène.

Cette conférence a réuni des experts de presque tous les domaines d'activités intéressés par la résistance aux antibiotiques. La vaste majorité des 200 participants étaient des professionnels du secteur de la santé humaine, tandis que seuls quelques représentants des milieux vétérinaire et agricole étaient présents.

Les professionnels de la santé humaine ont admis que certaines pratiques employées dans leur secteur d'activités avaient contribué au phénomène de la résistance aux antibiotiques. La plupart d'entre eux ont avoué être peu au courant des pratiques entourant l'utilisation des antibiotiques à la ferme et de son rôle dans le développement de souches bactériennes résistantes qui auraient pu être transférées aux humains.

Élaboration d'un système de surveillance

À la suite de la conférence de Montréal, un groupe de travail réunissant des experts de la résistance aux antimicrobiens dans les secteurs de l'agro-alimentaire et de l'agriculture a été formé. Selon un membre du groupe, Dr Rebecca Irwin, épidémiologiste du Laboratoire d'hygiène vétérinaire de Santé Canada, à Guelph, le groupe se réunira en septembre pour ébaucher un plan de développement et de mise en application d'un système national de surveillance de la résistance aux antimicrobiens et de l'utilisation de ces derniers dans les industries agro-alimentaire et aquicole.

Dr Irwin explique "qu'à l'heure actuelle, le groupe de travail est principalement composé d'épidémiologistes et de microbiologistes vétérinaires…" et qu'ils "recueilleront les informations disponibles à l'échelle nationale et internationale pour évaluer la situation présente et décider dans quelle direction ils devraient diriger leurs efforts." Elle ajoute que "le groupe étudiera différentes méthodes, telles que la géomatique (Geographic Information Systems - G.I.S.), pour analyser les données. Ceci nous permettra d'identifier les liens possibles entre les populations d'animaux d'élevage et certains îlots de résistance aux antimicrobiens."

Un large éventail de recommandations

À la lecture du rapport initial émanant de la conférence de Montréal, il ne fait aucun doute que la question de la résistance aux antibiotiques est prise au sérieux par tous les intervenants.

Les premières recommandations concernent les améliorations à apporter, tant à l'échelle locale, que régionale, provinciale et nationale. Tous les professionnels de la santé humaine et animale se verront confier un rôle plus actif dans la mise en place d'un vaste système national de surveillance destiné à promouvoir une utilisation plus judicieuse des antibiotiques dans tous les secteurs.

Dr Lynch exprime très bien une opinion largement répandue dans l'industrie agricole en expliquant que, pour assurer le succès d'un système de surveillance, "il est important d'harmoniser les données à travers tout le pays, en utilisant tous des procédés semblables pour intégrer les résultats et obtenir des constantes. Nous devons élaborer des stratégies efficaces pour faire face au problème de l'antibiorésistance au Canada."

Entre temps, et jusqu'à ce que nous en sachions davantage sur le sujet, tous les intervenants, c'est-à-dire des professionnels de la santé humaine et animale, aux gouvernements, entreprises pharmaceutiques, producteurs agricoles et aquicoles et consommateurs, doivent être vigilants.

Chacun a un rôle à jouer à plusieurs égards :

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promouvoir l'utilisation responsable des médicaments (médecins, vétérinaires et producteurs, par des programmes d'assurance qualité);

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encourager et pratiquer une saine hygiène alimentaire, afin de prévenir le transfert de bactéries des aliments aux humains;

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encourager les initiatives qui permettront de mieux comprendre comment éviter la résistance aux antibiotiques.